Un Cerf Tombé sur la Tête
Tout était très lumineux, et... coloré. Les vitraux d'une église. Je me vois dans une magnifique robe blanche. De mariée. Et à mes côtés, un jeune homme, habillé élégamment, qui sourit, heureux, tout autant que moi. C'est lui. C'est James. Je suis à son bras. Nous sortons de l'église. Nous nous dirigeons vers un carrosse – très chic et spacieux, il faut l'avouer – décoré de rubans et fleurs. Juste avant d'y rentrer, nous nous arrêtons, et plongeons nos regards l'un dans l'autre, sur fond sonore de « hourra ! » et « félicitations ! », de bouchons de champagne qui sautent et de rires heureux. Je suis émue. Le regard qu'il me coule est si chaud que mon cœur rate un battement.
- James... je susurre. On est enfin mariés, n'est-ce pas ?
Question assez bête, vu qu'une magnifique alliance orne ma main gauche. Mais c'est si récent que j'en suis encore incrédule. Et béate, sans aucun doute. Il me répond par un simple signe de tête, et une vague de bonheur me submerge lorsqu'il se baisse pour m'embrasser.
Mais il n'y parvient jamais. A l'instant où nos lèvres allaient se joindre, tout semble changer. Le décor, mes vêtements, l'ambiance. Je suis soudain en chemise de nuit, perdue dans un monde désert et silencieux, éloignée de plusieurs mètres de mon – oui ou non ? – mari. Il me contemple avec de grands yeux confus, comme s'il ne pouvait rien s'expliquer. Je crie son nom, mais aucun son ne sort de ma bouche. J'esquisse un mouvement pour l'atteindre. Soudain, une explosion. Brutalement, mon moi disparaît, et tout devient noir et blanc. Je ne suis pas censée être là, évidemment, mais je vois à présent tout d'un point de vue extérieur. James tombe à genoux, il hurle à son tour mon nom, et cette fois-ci, on l'entend bien, et même amplifié par un horrible écho. Il semble désespéré. Il s'appuie de ses coudes par terre, se prend la tête entre les mains, puis frappe rageusement le sol de son poing. Je crois... je crois qu'il pleure...
Enfin, une voix rauque, distante, mais très présente, l'interpelle, venue de nulle part.
- James Potter... murmure la voix. Tu dois t'éloigner de Liliann Evans... Tu dois cesser de la voir, ou elle mourra.
James se redresse, il se lève, avec une certaine difficulté, mais il le fait. C'est au ciel qu'il hurle sa colère.
- VOUS MENTEZ ! JE SAIS QUE VOUS MENTEZ ! RENDEZ-MOI LILY !
Mais il n'a en réponse qu'un ricanement qui s'éloigne...
Et c'est à ce moment-là que je me suis réveillée.________________________________________________________________
- JAMES EDWARD POTTER ! TU TE RENDS COMPTE QUE ÇA FAIT SIX MOIS QU'ON EST ENSEMBLE ? SIX MOIS !
- Oui, ça je sais, merci bien.
- ET TU OSES, TU
OSES... FAIRE ÇA, APRÈS TOUT CE QUI S'EST PASSÉ ?
Je tente de calmer ma respiration haletante. Je crois que j'ai trop hurlé. Mais cet imbécile à lunettes qui se trouve devant moi le mérite totalement. Alors, pourquoi m'en priver ?
Peut-être tout simplement parce qu'il a l'air de s'en foutre royalement. D'habitude, quand je lui crie dessus, il est mort de peur, et tout de suite après, il me vient avec des petits surnoms mièvres et débiles dans le but de m'adoucir. De peur que je rompe. Franchement, je n'ai jamais compris comment il faisait pour croire dur comme du fer que de m'appeler « ma petite biche en sucre » arrangerait les choses. Mais de toute façon, il n'avait pas à s'inquiéter. Je ne pensais pas rompre pour si peu.
Alors, vous serez d'accord avec moi, James Potter est un sale type trompeur de rousses.
Je le fixe, enragée. Son regard à lui me fuit, posé sur n'importe quel autre point de la Salle Commune vide. Pendant quelques secondes encore, un silence qu'il semble ne vouloir briser pour rien au monde s'installe. Et enfin, je me redresse, dans une tentative de paraître un tant soit peu plus élégante, et je fais une moue ennuyée.
- Si j'ai bien compris, après trois ans et demi de poursuite intense, et six mois en couple, tu te décides à me laisser tomber. Bon. Et je peux savoir pourquoi ?
J'aimerais que son regard croise le mien, au moins. Que je puisse y lire quelque chose. Rien. Il a l'attention ailleurs. Il est totalement indifférent à ma rage extérieure et à mon désespoir intérieur. Alors, de deux choses l'une : soit c'est un très bon acteur et il ne montre pas ce qu'il ressent sur le moment... soit c'est un très bon acteur et il a fait semblant tout ce temps.
Grrr. J'enrage.
- Je t'ai déjà expliqué, Evans, me répond-il, comme lassé.
Oh, manquait plus que ça. On revient au Evans, maintenant. Ah, mon cher Potter, tu ne vas pas t'en tirer comme ça. Vous y croyez, vous, qu'il m'a narguée pendant trois longues années pour obtenir le privilège de m'appeler par mon surnom, et qu'en quelques minutes, il le recale pure et durement ? Eh oh, dites-moi, où sont passés les « ma Lily d'amuuur, ton surnom te va à merveille » ? C'étaient des faux ? Hein ?
Non, non et non. Je refuse l'explication. J.P. ne pourra pas m'avoir à ce petit jeu.
- Ah, bien sûr. Donc, selon ce que tu me dis, tu es bien ce que j'avais pensé dès le début, n'est-ce pas ? Un goujat. Je craignais que tu ne me laisses tomber avant deux semaines, tu t'en souviens ? Tu m'as assuré que tu ne le ferais pas.
- Et je ne l'ai pas fait.
Il trépigne un moment sur ses pieds, comme si quelque chose le dérangeait. Moi, je ne l'ai pas lâché des yeux. Je capte le moindre de ses mouvements, et je suppose qu'il l'a compris. Suspicieuse, je cherche à déceler la moindre faille. Parce que James Potter ne peut pas vouloir me larguer. Il n'y a pas de raison. Surtout pas son excuse bidon. Alors pourquoi ?
POURQUOI, HEIN ?
- Précisément, je réplique, comme un détective en pleine déduction logique. Tu ne l'as pas fait. Et pourquoi, Potter, hein ? Pourquoi, si tu étais vraiment un goujat, pourquoi as-tu attendu six mois avant de rompre ? Tu n'es jamais resté plus d'un mois avec la même fille. Sauf moi. Et pourquoi tu voudrais rompre après tout le travail que tu as eu pour m'avoir – je veux dire, trois ans de ta vie, c'est énorme, James ! -, tu peux m'expliquer ? Ça ne colle absolument pas, ton histoire ! Si tu crois que je...
Il s'anime. Il me regarde enfin. Son regard de braise me coupe net la parole, et lui, comme dans une colère froide, me crie dessus. Pour la première fois de ma vie. Et là, une seule pensée a traversé mon esprit : « Il veut juste que je me taise. »
- ET ALORS ? Qu'est-ce que ça prouve, Lily ? Tu ne m'attires plus, c'est tout !
Je ne dis rien pendant un moment. Il m'a appelée Lily. « Lily » ! Et quoiqu'il en dise, ça change tout. Parce que sa voix a tremblé, quand il l'a prononcé. Parce que le ton qu'il a utilisé ne ment pas.
J'ai compris. Évidemment que j'ai compris. Il veut me déstabiliser, pour que je perde mes arguments. Et il veut que je me taise. Peut-être que lesdits arguments... ou le son de ma voix le font flancher. Peut-être qu'il a peur de changer d'avis.
C'est ma chance, quoi.
- Alors comme ça... je ne t'attire plus ?
Ma voix s'est faite plus douce. Boudeuse, peut-être. Je souris, malicieuse. Je lui lance une œillade suggestive. J'entortille de mes doigts une mèche de cheveux rebelle. C'est suffisant, le plan séduction est sans faille, et ce parce que James est trop prévisible. Je n'ai en fin de compte pas fait grand chose, et c'est déjà sa perdition. Comme noyé dans mes yeux vert émeraude – ou vert alien, au choix – , mon (techniquement ex) petit ami a du mal à ne pas baver.
Parfois, il me fait de la peine. Le pauvre. Il n'y peut rien. A part accepter sa nature d'être humain mâle et contempler la supériorité féminine avec émoi et convulsions hystériques.
Je m'avance dangereusement. Je l'entends déglutir. Vous savez, c'est à ces moments-là que je me sens cruelle, sadique, et ça fait un bien fou. Quoique mon sourire soit extérieurement très sexy – qui ose douter de la sexybilité de mes sourires ? -, au fond de moi-même, je me barre dans un fou rire exponentiellement machiavélique et politiquement diabolique.
La vie est bien faite. Je l'ai toujours – hum – dit.
Il est soudé au sol, je le sais. Hypnotisé, je le sais aussi. Bingo. Je franchis les quelques pas qui restent entre nous, et sans perdre une seconde, je mets mes mains sur son torse et le pousse doucement, l'obligeant ainsi à reculer pas à pas. Il y a un canapé derrière lui, évidemment. Je suis une boss qui prévoit tout à l'avance.
Je devrais recevoir un Oscar, ou au moins une récompense assez importante pour flatter mon égo. Je me répète peut-être, mais je suis une boss. Applaudissez, très chers.
Quand on y pense... ironique, hein, mon cher Potter... lui qui refusait tout contact visuel avec moi il y a quelques minutes ne peut plus détacher ses yeux noisette de ma petite personne.
Je m'en flatte intérieurement. Hey, j'ai gagné la bataille, et possiblement le combat. Avec un peu de chance, ce sera du chocolat, ma récompense. Haha. Utopie.
Il se voit obligé à s'asseoir sur le canapé moelleux, et n'a d'autre choix que de me recevoir sur ses genoux. Je me niche au creux de ses bras, et, taquine, je l'embrasse légèrement dans le cou. Malgré son effort désespéré pour ne pas le montrer, il frissonne.
C'est bien ce que je disais. Trop prévisible, et incapable de me résister. C'est
mon James.
- Tu maintiens ? je murmure, proche à son oreille. Je ne te fais vraiment plus aucun effet ?
Il ne répond pas. J'attends un mot, une syllabe, un son quelconque, pendant un long moment. On n'entend rien d'autre que le crépitement du feu. Je vais vous dire, moi. Les silences, ça commence à être pesant, et je n'ai jamais été la patience incarnée.
Plus sérieuse que jamais, toujours blottie contre lui, je questionne enfin l'essentiel :
- Si tu me disais la véritable raison, James ?
Long soupir de la part de l'énergumène qui me sert d'amoureux. Un moment, je crains qu'il ne veuille m'écarter. Mais je suis au contraire rassurée lorsque je le sens resserrer son étreinte.
Et la réponse est...
- J'ai eu des rêves. Non, des cauchemars. Plusieurs fois le même. A chaque fois, tu mourais. Toujours à cause de moi.
Il inspire profondément. Maintenant, re-renversement de situation, c'est moi qui ne peux plus le quitter des yeux.
- Au début, j'ai cru que Sirius me faisait des blagues, quelque chose comme une potion de rêves... mais il n'est pas du genre à faire ça. S'il voulait me taquiner en me faisant rêver de toi, il aurait choisi des rêves plus... hem... amusants, ou...
Je hausse un sourcil.
- Quoiqu'il en soit, il n'aurait pas pu me faire rêver des choses aussi tristes, et... terrifiantes... réelles. C'est très net dans mon esprit, Lily. Il y avait une voix, qui me disait que je devais m'éloigner de toi, ou sinon, quelque chose d'horrible t'arrivera. Je ne veux pas... Je...
Ow.
Ça va vous paraître très étrange, mais maintenant qu'il en parle, j'ai eu un rêve bizarre, il y a quelques mois... mais je ne l'ai eu qu'une fois. Je ne l'ai pas pris au sérieux, je n'en ai même parlé à personne. Surtout pas à James, au risque de lui donner des idées. Ce rêve... je m'en souviens... parfaitement. A vrai dire, il m'avait assez bouleversée.
Je suis muette un instant. Encore une fois, il me serre encore plus fort dans ses bras. Il entrelace ses doigts avec les miens. Je ne peux pas voir son expression dans l'immédiat. Mais je sais qu'il est très sérieux. Et sans doute triste. En tout cas, c'est comme cela qu'a sonné sa voix. Il faut que je le regarde dans les yeux, c'est plus fort que moi. Je relève la tête, afin de contempler son visage. Il est surtout inquiet. Il veut me protéger. Je le sais. Et ça me réchauffe le cœur.
- Je vais te confier un secret, je chuchote toujours.
Ses yeux s'écarquillent légèrement. Ses lèvres tremblent un peu, formant le mot « quoi ? », sans émettre de son pour autant.
- J'ai eu le même rêve. Mais, tu sais quoi ? Je n'y crois pas. Je m'en fiche.
Il fronce les sourcils, ce qui m'incite à continuer. Non sans lui offrir un petit rire amusé. Un peu troublé, mais amusé.
- Tu vois, je n'en ai rien à faire. Que je meure dans quelques années ou dans des siècles, qu'importe... Je veux bien mourir si c'est dans tes bras.
Révolté, James, bien que légèrement flatté, proteste. Il ne veut pas, il m'interdit de mourir, même si c'est dans ses bras. C'est vrai que dire ça était assez égoïste. Encore une fois, je ris doucement. Mais ce que je vais dire n'a rien de drôle.
- James... Même si le destin ne nous voulait pas ensemble – ce qui est, laisse-moi ajouter, totalement absurde... il ne peut pas me refuser de rester avec toi, du moins à l'instant présent. Tu ne crois pas ? Pour le reste, tant pis. On improvisera. Rien ne m'importe tant que je suis avec toi.
Potter me fixe, évidemment dubitatif, peu convaincu, peut-être. Ou sans doute. En fait, je ne suis pas sûre que James croit au destin. L'une de ses techniques à deux noises pour me conquérir, lorsqu'il me courait après, c'était de prétexter que le destin avait prévu de nous réunir (hypothèse confirmée par lui-même, disait-il, au dernier cours de Divination). Oui, je sais, ça semble ironique, maintenant. Et oui, je sais, James Potter était un séducteur pitoyable à quatorze ans. Personne ne le sait plus que moi, je peux l'affirmer.
Mais je pense qu'il est d'accord avec moi. Sur le fait qu'on devrait rester ensemble, je veux dire, pas sur sa pitoyable technique pour séduire à quatorze ans.
Pour sceller mes paroles, je pose mes lèvres sur celles de mon (en fin de compte pas du tout ex) petit ami. Tièdes. Apaisantes. Étant James Potter, soit le petit ami parfait, il répond immédiatement en approfondissant le baiser. Je me sens bien. Je me sens toujours bien, quand je suis avec lui. Le destin ne me fait franchement pas peur. Pas lorsque je suis à ses côtés.
Quelques minutes plus tard, j'impose la fin de l'agréable échange. Je souris tendrement, le visage proche au sien, les yeux dans les yeux, et je souffle :
- Est-ce que tu m'aimes ?
Comme si je ne savais pas la réponse. Je la connais par cœur. Bon, ok, peut-être pas.
- Hum... laisse-moi réfléchir...
On entend un petit « aïe ! C'est bon, me tape pas ! » qui fait écho dans la Salle Commune – presque – déserte.
- ... Je dirais, après mûre réflexion, Miss Evans...
- Oui ou non ? je le coupe, impatiente.
- Oui. Évidemment que je t'aime.
Il s'approche stratégiquement pour un bisou, mais je recule.
- Comme quoi ? je fais, rien que pour le déconcerter un peu.
- Euh... Comme... un cerf tombé sur la tête.
- Hein ?
- Ou, si tu préfères, comme un niffleur psychopathe mutant bariolé à lunettes de soleil turquoise.
- Potter !
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